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La politique économique que la Chine n’adoptera pas

Article de Noam Smuha

La politique économique que la Chine n’adoptera pas : se tourner vers son marché intérieur et sa base de consommateurs


Résumé

La fin des années 2010 et le début des années 2020 ont été marqués par un changement important dans la géopolitique financière. Alors que beaucoup espéraient que l’avènement du XXIe siècle serait le signe avant-coureur d’un nouvel ordre mondial libéral dirigé par les États-Unis (des penseurs comme Francis Fukuyama ayant déclaré la « fin de l’histoire »), cette hégémonie a été remise en question. L’essor de la République populaire de Chine (Chine) et les récents conflits commerciaux entre ces deux superpuissances ont remodelé la dynamique mondiale. Ces guerres « tarifaires » ou « commerciales » peuvent être interprétées comme une montée du protectionnisme, la Chine subventionnant fortement ses industries d’exportation pour améliorer sa compétitivité sur les marchés étrangers, tandis que les États-Unis imposent des droits de douane sur les produits chinois pour les rendre moins compétitifs sur le marché intérieur, en réponse à ce qu’ils perçoivent comme des pratiques commerciales déloyales. En conséquence de ce conflit, d’autres nations et organisations internationales sont devenues de plus en plus conscientes de leurs vulnérabilités en matière de dépendance aux importations étrangères, de pratiques commerciales déloyales ou de dépendance aux exportations.


En bref, nous assistons actuellement à une montée mondiale de la multipolarité géopolitique et du protectionnisme dans le commerce international. En tant que premier exportateur mondial, la Chine devra repenser son modèle de croissance en réponse à ces changements, car il devient de moins en moins rentable d’être un exportateur majeur en raison de la montée des barrières commerciales à l’échelle mondiale. Il existe cependant une solution apparente pour le Parti communiste chinois : remplacer ses consommateurs étrangers par des consommateurs nationaux, permettant ainsi aux Chinois d’acheter les biens qu’ils produisent. Malgré cette solution keynésienne en apparence simple, le gouvernement chinois semble réticent à mettre en œuvre une telle stratégie axée sur la demande, continuant à rechercher des solutions basées sur l’offre pour ce qui est fondamentalement un problème de demande.


Section 1 : Aperçu économique historique  

Bien que la République populaire de Chine soit théoriquement dirigée par un parti communiste, le pays a développé un modèle de croissance axé sur les exportations depuis les réformes de Deng Xiaoping à la fin des années 1970. Ces réformes visaient à faire passer la Chine d’une économie socialiste planifiée à une économie de marché plus ouverte, permettant une croissance plus rapide, une augmentation des recettes publiques et la sortie de la pauvreté de centaines de millions de citoyens chinois. En 2000, le président américain Bill Clinton a accueilli la Chine au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), espérant que l’ouverture de ses marchés conduirait à une libéralisation politique. Bien que ce dernier scénario ne se soit pas concrétisé, le bond économique réalisé par la Chine au cours des quarante dernières années est indéniable. La nation s’est intégrée au marché mondial et, depuis les années 2000, est devenue le plus grand exportateur mondial de marchandises. En outre, elle affiche un excédent commercial de 1,57 billion de dollars, contre un déficit commercial de 1,17 billion de dollars pour les États-Unis.

Parmi les facteurs les plus importants de cette croissance économique figurent les salaires relativement bas et la valorisation de la monnaie, ainsi que les investissements publics importants, notamment les subventions massives aux industries locales et la création et la gestion de grandes entreprises publiques.


1.1 : Le changement économique de la Chine dans les années 1980

Avant la mort de Mao Zedong en 1976, la Chine avait traversé une situation économique plutôt sombre pendant un siècle, souvent qualifiée de « siècle de l’humiliation ». Des guerres de l’opium contre le Royaume-Uni au milieu du XIXe siècle à la Seconde Guerre mondiale, la Chine a subi des pertes massives en termes de population, d’infrastructures et de stabilité économique. L’économie planifiée centralisée mise en place après l’arrivée au pouvoir du Parti communiste chinois (PCC) en 1949 n’a pas réussi à relever efficacement ces défis, et certains chercheurs affirment qu’elle a même entravé les efforts de reconstruction du pays.


Cependant, la situation économique de la Chine a commencé à changer radicalement en 1978, lorsque Deng Xiaoping a pris le pouvoir et mis en œuvre des réformes politiques substantielles. Au lieu de se concentrer sur la lutte des classes, l’objectif de la politique s’est déplacé vers la promotion de la croissance économique dans tout le pays. Cela a été réalisé en ouvrant les marchés chinois aux investissements étrangers et en tirant parti de l’avantage comparatif du pays dans le commerce international : sa main-d’œuvre abondante et bon marché. L’investissement privé, ainsi que les subventions gouvernementales ou les allègements fiscaux pour les industries clés, ont aidé la Chine à atteindre un taux de croissance moyen de 9 % par an depuis 1978. La Banque mondiale estime que ces réformes ont permis à plus de 800 millions de personnes de s'échapper de la pauvreté.


En 2009, la Chine était devenue le premier exportateur mondial de biens et, en 2022, la valeur totale des exportations chinoises s’élevait à $3.71 milliards. Aujourd’hui, la Chine présente de nombreux attributs d’une économie pleinement développée, avec d’importantes banques d’investissement, certaines des entreprises les plus valorisées au monde et des industries automobiles et électroniques en plein essor, entre autres. Cependant, certains aspects de son économie suggèrent que la Chine est encore une nation en développement.


Philippe Benoit, directeur de recherche chez Global Infrastructure Analytics and Sustainability 2050, décrit la Chine comme une « superpuissance hybride ». Si certaines régions souffrent encore d’une pauvreté persistante, l’ampleur de l’influence économique du pays rend les économies de nombreux autres pays dépendantes du commerce avec la Chine. Par exemple, la demande chinoise en matières premières stimule les industries de nombreux pays en développement. Dans l’Occident global, la Chine est souvent considérée comme une menace en raison de sa dépendance à l’égard des importations de biens en provenance de Chine, alors que dans les pays en développement, l’accent est mis sur la dépendance à l’égard des exportations de matières premières vers la Chine et sur la dépendance à l’égard des investissements directs étrangers chinois pour les infrastructures et la croissance économique.


1.2 : Ambitions géopolitiques  

Le financement des infrastructures étrangères par la Chine est parfaitement illustré par l’Initiative Ceinture et Route (BRI), un projet lancé en 2012 par le gouvernement chinois pour construire des infrastructures dans le monde entier, facilitant ainsi le commerce des produits chinois sur le marché mondial. Bien que cet article n’ait pas pour objectif de discuter en détail des impacts de la BRI, il convient de noter que depuis son lancement, la plupart des économies en développement du monde se sont tournées vers la Chine. En conséquence, elles sont de plus en plus influencées par les décisions prises par les responsables ou les entreprises chinoises, ce qui confère à la Chine un immense pouvoir dur et doux à l’échelle mondiale et facilite l’exportation des produits chinois dans le monde entier.


Section 2 : Réaction mondiale et protectionnisme  

2.1 : Prise de conscience et inquiétude


L’émergence de la Chine en tant que puissance mondiale à la fin des années 2010 a déclenché un effet domino de réactions « réalistes ». L’UE et les États-Unis craignent de concurrencer les produits chinois bon marché sur le marché mondial, mais ils sont également frustrés par la difficulté qu’ont les industries occidentales à concurrencer les producteurs chinois sur le marché chinois en raison d’importantes barrières à l’entrée. Ensemble, le bloc occidental a investi dans un contre-projet à la BRI appelé Global Gateway. Son objectif déclaré est de fournir aux pays en développement des moyens financiers pour aider à leur développement tout en offrant de meilleures conditions d’investissement que la BRI. Il reste à voir comment la rivalité entre ces projets va se dérouler.


L’Inde, bien que moins compétitive économiquement que la Chine, se considère comme un adversaire régional. Elle cherche à atténuer l’influence chinoise le long du « Collier de perles » (les projets de la BRI dans l’océan Indien) et à contrer la montée en puissance militaire de la Chine. Les deux pays sont en proie à des conflits frontaliers permanents, et le partenariat solide de la Chine avec le Pakistan, principal rival politique de l’Inde, exacerbe les tensions. En conséquence, l’Inde s’est tournée vers les États-Unis pour obtenir une aide et une coopération militaires, formant le « Quad » avec le Japon et l’Australie. Ce partenariat stratégique vise à sécuriser des intérêts communs dans la région indopacifique, notamment en contenant l’influence chinoise.


2.2 : Législation protectionniste

La fragmentation et la polarisation de la géopolitique sont devenues évidentes lors de l’élection présidentielle américaine de 2016, lorsque Donald Trump a fait campagne en insistant sur les pratiques commerciales déloyales de la Chine. Une fois au pouvoir, il a imposé un large éventail de droits de douane sur les produits chinois importés et a interdit à certaines entreprises chinoises d’entrer sur le marché américain, les accusant d’espionner pour le compte du gouvernement chinois. Bien que Trump ait perdu l’élection de 2020, son successeur, Joe Biden, a maintenu l’antagonisme envers les importations chinoises, en élargissant les droits de douane pour inclure les véhicules électriques et les semi-conducteurs chinois. Comme l’antagonisme envers la Chine semble trouver un écho favorable auprès de l’électorat, il est peu probable que les démocrates ou les républicains reculent devant la confrontation de plus en plus importante avec la Chine.


L’UE se méfie également de la concurrence chinoise, mais elle s’est montrée moins conflictuelle que les gouvernements américains successifs. Elle a imposé des droits de douane sur certains produits chinois, même si elle a commencé à le faire plusieurs années après les États-Unis. En outre, la Chine et l’UE se montrent prudentes quant à l’escalade des tensions, car elles restent économiquement dépendantes l’une de l’autre. L’UE est le plus grand marché d’exportation de la Chine, et les responsables chinois espèrent que l’UE servira de terrain d’entente et de contrepoids à l’hégémonie américaine.


Section 3 : Luttes internes et défis économiques

3.1 : Défis économiques internes

L’objectif de ces « guerres tarifaires » est de rendre plus difficile l’exportation des produits par les entreprises chinoises ou, à tout le moins, de les rendre moins compétitives. Pour une économie dont près de 20 % du PIB provient des exportations (les importations représentant 17 %), toute entrave à la capacité d’exporter pourrait avoir des conséquences désastreuses. Si le monde occidental cesse d’acheter des produits chinois, une crise de surproduction pourrait survenir, ce qui aurait de graves répercussions sur les profits des entreprises chinoises et, par extension, sur les recettes du gouvernement chinois. Cela rendrait les investissements dans l’économie chinoise plus coûteux pour le gouvernement, et il est important de noter que les investissements représentent 42 % du PIB.


Le fait est que, bien que la Chine soit le plus grand producteur de biens au monde, la plupart des Chinois ne sont pas en mesure d’acheter les biens qu’ils produisent.


3.2 : La solution proposée

Il ne faut jamais supposer que l’histoire ou le développement économique sont linéaires, mais il y a plusieurs leçons à tirer de l’industrialisation de l’Europe et des États-Unis que le PCC ne semble pas disposé à imiter : l’autonomisation de la classe ouvrière, non seulement en tant que producteur de biens et de services, mais aussi en tant que consommateur. La théorie keynésienne suggère que les gouvernements devraient encourager leurs citoyens à consommer les biens qu’ils produisent pour réduire le risque de surproduction et diminuer la dépendance aux marchés étrangers. C’est la voie qu’ont suivie les économies occidentales après la Seconde Guerre mondiale. Si le boom économique de l’après-guerre en Europe a effectivement été alimenté par l’investissement, notamment par le biais du Plan Marshall, les bénéfices de ces investissements ont fini par ruisseler vers les travailleurs qui ont reconstruit l’Europe. Ces travailleurs ont, à leur tour, dépensé leurs revenus en biens de consommation, soutenant l’économie de manière partiellement circulaire. Cette autonomisation des travailleurs européens est également illustrée par l’essor du secteur des services, qui nécessite généralement des employés mieux formés et mieux payés.


Section 4 : La réticence du PCC et ses stratégies alternatives

4.1 : La réticence à s’appuyer sur le marché intérieur 


Les salaires chinois restent très bas malgré les exportations substantielles du pays vers le reste du monde. Si les travailleurs chinois pouvaient utiliser les revenus de ces exportations pour acheter des biens dans leur propre pays, cela stimulerait la consommation et la demande intérieures, ce qui pourrait compenser le déclin des exportations au fil du temps. Cependant, le PCC semble réticent à s’appuyer sur sa propre population pour sa croissance économique. Au lieu de cela, ces dernières années, il s’est concentré sur la relance de sa capacité d’exportation en accordant des subventions massives à ses principales industries d’exportation. Cette politique est non seulement à courte vue, mais a également suscité la colère des concurrents mondiaux de la Chine, qui y voient une continuation de pratiques commerciales déloyales. Pourquoi, alors, le PCC persiste-t-il avec ce modèle de croissance axé sur les exportations ?


La raison principale est que le PCC ne fait pas confiance à ses citoyens pour dépenser leurs revenus. Les travailleurs chinois ont tendance à épargner plutôt qu’à dépenser, surtout à la lumière de la récente crise immobilière. De plus, bien que les programmes de protection sociale se soient considérablement développés au cours des dernières décennies, ils ne sont pas encore suffisamment développés pour permettre aux citoyens chinois de dépenser leur argent dans d’autres services. Le financement de tels programmes est coûteux, et si le gouvernement se désinvestit de ses industries manufacturières, les revenus diminueront encore davantage, ce qui rendra encore plus difficile la relance de la consommation globale.


Xu Gao, économiste en chef et président adjoint de la Bank of China International, a proposé de partager les dividendes des nombreuses entreprises publiques du gouvernement avec les citoyens du pays. En bref, il suggère de créer des fonds d’investissement publics qui détiendraient les actions des entreprises publiques. Les parts de ces fonds seraient ensuite distribuées à la population.


Cependant, de telles solutions ne sont politiquement attrayantes pour aucun chef d’État chinois, et encore moins pour Xi Jinping, car elles dilueraient les actifs détenus par le gouvernement et affaibliraient les entreprises chinoises. Même si la transition de l’investissement à la consommation devait finalement réussir, on s’attend à ce que le PIB global de la Chine doive se contracter à un moment donné, malgré une part croissante de la consommation des ménages.


4.2 : Conclusion

Si dans une démocratie, les dirigeants sont au moins partiellement responsables devant leurs électeurs par le biais d’élections fréquentes, les dirigeants chinois sont responsables devant leurs collègues du PCC, dont beaucoup sont fortement investis dans le modèle de croissance actuel, en particulier dans les secteurs de la finance et de l’immobilier. Non seulement les membres du parti veulent participer aux entreprises lucratives du pays, mais les investisseurs privés voient également les avantages de s’aligner sur la politique nationale. Par exemple, lorsque la banque d’investissement chinoise CICC a commencé à craindre une perte de bénéfices, ses dirigeants ont rejoint avec empressement le PCC pour influencer le gouvernement afin de sauver l’entreprise. Cette tendance devient de plus en plus courante en Chine et continuera probablement à concentrer l’attention du gouvernement sur la garantie des profits à court terme des entreprises tout en négligeant la stabilité à long terme offerte par une économie de bien-être basée sur les services.


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